A propos du pouvoir

Je n'ai pas essayé de fonder une coterie des mécontents. Plus exactement, je ne m'y suis pas essayé intensivement. J'y ai bien songé de temps à autre, mais chaque fois j'ai eu le pressentiment que quelque chose clochait. Et c'est justement la question à laquelle je n'ai pas cessé de réfléchir: qu'est-ce qui cloche dans le fait de fonder des coteries de mécontents ou d'en devenir membre ? Je suis arrivé à mes conclusions. Je les partage. Tout un chacun arrive à des conclusions qui sont les bonnes pour lui, il s'y décrit au fond lui-même. Mais personne ne sera tout seul.
Tout le monde connaît le truc. On crée des coteries qui décident de ce qui doit être changé. Les coteries deviennent si grandes qu'elles accueillent en leur sein les plus grands crieurs de peuples entier. De temps à autre, on prend la route et on va crier plus fort que les autres, on fonde un nouveau gouvernement et on dicte des améliorations. Les améliorations deviennent des lois. Il y a tant de lois que personne ne peut les connaître; ainsi les gueuleurs auront toujours le droit de châtier les autres.
De temps à autre vient le tour de <<l'autre coterie>> - qui fait la même chose.
Tout le monde connaît le truc. Il n'a aucun intérêt, sauf le fait que tous ceux qui font partie de l'association se prennent au sérieux.
Ces quelques notes ne sont pas une critique. Elles veulent seulement faire comprendre que je ne me sens pas utilisable comme chef ni comme gueuleur dans aucune société d'émulation. C'est juste l'observation d'une personne. Pour mettre les différences en évidence. Je n'ai jamais eu non plus le désir d'être membre de quoi que ce soit. Je comprends mal que les gens veuillent être membres. S'ils avaient une tête, me dis-je, ils voudraient diriger et utiliser leurs membres eux-mêmes. Pourquoi les offrir au président d'une association pour qu'il les utilise à sa guise ? Certes, tant qu'on n'en a pas besoin soi-même...
Mais quand on a une tête, on a toujours d'autres vues sur ses membres. On voudrait toujours les avoir à disposition.

Puisqu'il y a toujours eu deux sortes d'êtres, des dompteurs et des domptés, ce n'est pas miracle si beaucoup de Caïnites sont devenus des animaux domestiques ou des bêtes de somme. Et ils ont été tellement domptés qu'ils ont fini par faire des choses essentielles. Quand on marche en horde, on ne doit pas se cogner ni rien de tel. Bon, on ne cogne pas: on va voir son Primogène. Mais ne me demandez pas de voir là quoi que ce soit de supérieur ou de civilisé.
Pourtant, je suis tout prêt à reconnaître les succès du dressage. Il y a des experts fabuleux en matière de technique, de chimie et de quelques autres domaines. Il y a des généraux, des politiciens et des experts incroyablement bêtes dans d'autres domaines. L'homme, comme le Caïnite, est étonnant de spécialisations. Parmi les meilleurs soldats il y a probablement des meurtriers dont le procès ne tirerait jamais à sa fin si on considérait leurs meurtres comme des crimes. Mais comme ils tuent sur ordre de leur société, comme les bouchers, ces meurtres ne comptent pas. Seulement si l'un d'eux tire volontairement une fois son mandat accompli. Comme dans un rêve: là, ça ne va pas.
Chez les Infants, il n'y a pas d'abord d'existence naturelle. L'habitat anti-naturel d'aujourd'hui rend tout développement personnel impossible. Les Infants, qui jadis allaient librement au travers de la nuit sur le domaine paternel, pour connaître ce qu'il y avait autour d'eux, sont aujourd'hui si confus qu'ils réclament d'être dressés. Mais il n'y a rien de particulier à cela. Ils ont grandi dans le dressage et ne sont plus aptes à la liberté. Appeler cet état <<liberté>>, c'est une mauvaise plaisanterie.

Ensuite on passe à un dressage plus sévère. On l'appelle <<spécialisation >>, c'est-à-dire rétrécissement de toutes les facultés existant en germe, afin que toutes les forces qui résideraient dans ce germe suivent le chemin voulu. Ainsi peut se créer un tout, que l'on appelle aujourd'hui <<Caïnite>>. Un être mécanique qui sait faire les choses les plus drôles. Il sait répéter sagement les bribes qui lui sont dites par le pouvoir; il peut croire qu'il a une opinion politique ou autre. Mais en réalité ce que les perroquets disent leur est bien égal. Ils n'en savent rien. C'est pour cela que c'est si facile de rester Primogène sous cinq gouvernements différents et de se contredire tranquillement. Ainsi on inculque aux gens ce qu'ils doivent voter et comment.

J'ai mis du temps à me convaincre qu'il y a très longtemps vivaient d'autres Caïnites. Très différents, parfois très dressés à certaines époques. Moins dressés qu'aujourd'hui, à notre époque. Il se peut que des oiseaux et toutes les bêtes féroces dressent un peu leurs petits. Je n'ai pas envie de changer les faits de la nature à mon profit. Si le dressage est juste une partie de l'entrée naturelle dans la vie, il n'y a rien de grave à cela. Si le dressage est la seule voie vers l'anti-nature totale, il devient dangereux. C'est ce qui s'est passé pour le Caïnite. Anti-nature, et des dépendances incontournables. Perte de toutes les convictions. Dans ma vie, par hasard, les choses n'en sont pas arrivées à ce point. Une petite partie de mon mécanisme intérieur est branchée sur <<comme si j'étais bien dressé>>. C'est plus facile que de se battre quelque part avec une apparence de <<liberté conquise>>. Les dressés n'aiment pas la liberté d'autrui.
Ce qui aurait été logique, c'est que la première loi soit que tout empiétement sur une autre personne est un crime - tout empiétement sur sa volonté, tout empiétement sur sa part naturelle à la terre, toute tentative de le forcer à quelque chose et en ne lui en permettant de vivre qu'au prix de son abaissement.
Les lois actuelles considèrent qu'il est normal d'empiéter sur la vie d'autrui. C'est seulement la non-obéissance qui est un crime (insulte à la cour). Elles se fondent sur la protection pitoyable de la propriété personnelle (acquise illégalement). Mais ce ne sont pas des lois, ce sont seulement des affirmations de la force.

A propos du vote

Les anarchistes, conséquents avec eux-mêmes, avec leurs revendications et leurs espérances, renient absolument la religion du bulletin de vote, et, loin de considérer le suffrage universel comme une panacée, comme un instrument d'émancipation, ils y voient, au contraire, un odieux instrument de domination, la plus grande mystification du siècle!

Le suffrage universel, en effet, n'est, au fond, que le droit de choisir nous-mêmes nos maîtres, de désigner la sauce à laquelle nous préférons être mangés.

La souveraineté ne se délègue pas: elle s'exerce!

 

Etre gouverné ...


C'est être gardé à vue, inspecté, espionné, dirigé, légiféré, réglementé, parqué, endoctriné, prêché, contrôlé, estimé, apprécié, censuré, commandé, par des êtres qui n'ont ni titre, ni la science, ni la vertu ...

Etre gouverné, c'est être, à chaque opération, à chaque transaction, à chaque mouvement, noté, enregistré, recensé, tarifé, timbré, toisé, coté, cotisé, patenté, licencié, autorisé, apostillé, admonesté, empêché, réformé, redressé, corrigé. C'est, sous prétexte d'utilité publique, et au nom de l'intérêt général, être mis à contribution, exercé, rançonné, exploité, monopolisé, contusionné, pressuré, mystifié, volé ; puis, à la moindre révolte, au premier mot de plainte, réprimé, amendé, vilipendé, vexé, traqué, houspillé, assommé, désarmé, garrotté, emprisonné, fusillé, mitraillé, jugé, condamné, déporté, sacrifié, vendu, trahi, et pour comble, joué, berné, outragé, déshonoré. Voilà le gouvernement, voilà sa justice, voilà sa morale !

J-P Proudhon ("idée générale de la révolution du XIXe siècle").

 

Le mot de la fin

Pensez, réfléchissez et agissez selon vos convictions personnelles. N'admettez comme seule règle de ne pas faire à autrui ce que vous n'aimeriez pas qu'on vous fasse. Refusez de vous soumettre à des règles et des protocoles qui ne vous paraissent pas sincèrement utiles. Dites haut et fort ce que les gens pensent tout bas. Nous devons montrer l'exemple, avancer vers un monde plus libre, un monde meilleur !

 

Laurent Vergnon, Brujah