Histoire d'une âme en peine

Cette histoire n’est ni romanesque, ni fiction. Serait ce un conte ? A vous de le découvrir. La Transylvanie, ou du moins les Carpates, se prête si bien aux légendes. En serait- ce une ?

Le château se fondait dans le paysage. La pierre brute se confondait à la pierre taillée ; de loin on ne voyait aucune différence. Pour l’atteindre, il fallait remonter un défilé, gravir une pente raide. Il se présentait à l'apique de la falaise. Une enceinte l’entourait comme double protection, deux bastions d’angle et des contreforts soutenaient la chapelle. Le donjon à l’aspect hostile dominait les bâtiments habitables. Comme tout château de cette époque, un pont-levis le protégeait.

De la terrasse du donjon, la vue était si belle sur les montagnes infinies. Tout était si sauvage.

Le château datait du XIIème siècle et était empreint de légendes de revenants, d’esprits et autres...

Les souvenirs de mon pays sont restés gravé à jamais dans mon cœur.

 

Je naquis dans ce château le 28 Septembre 1750, au cœur des Carpates transylvaniennes. Ma mère mourut la nuit de ma venue au monde.

Mon père, bailli du château m’éleva seul du mieux qu’il pu. Nous avions la chance d’avoir de bons châtelains. Ma maîtresse m'éduqua, d’une certaine manière, comme si j'eus été sa propre fille (Elle avait eut 2 garçons dont un avait mon âge). J'apprit ainsi la lecture, l’écriture, la tapisserie ainsi que tout ce qu’une jeune fille de bonne famille avait à connaître.

 

Toute petite, lorsque le pope venait nous enseigner, il nous affirmait que les loups-garous couraient la campagne, que les vampires " styges " poussaient des cris et s’abreuvaient de sang humain... et bien d’autres horreurs. Il nous parlait des fées, des " babes " dont il fallait se méfier certains jours. Dans les forêts, des dragons gigantesques s’y cachaient et bien d’autres animaux mythiques peuplaient notre vie.

Comment ne pas croire toutes ces légendes lorsque l’on vit dans un lieu aussi isolé !

Je comprenais fort bien ce qu’il voulait dire, du moins lorsqu’il parlait des fées. Lorsque je me replongeais dans mes plus profonds souvenirs, je revoyais toujours auprès de moi ma petite amie qui m’entourait de sa présence. Je ne comprenais pas pourquoi mon père ne me croyait pas et surtout pourquoi je ne devais pas en parler. Plus tard, j’en compris la cause, lors des bûchés qui s'enflammèrent dans le pays...

 

Vers l’âge de 8 ans, j’aimais rejoindre les bergers surveillant leurs troupeaux. Sur ces plateaux élevés, souvent sans abris, balayés par les vents du Nord-Ouest, les hivers étaient rudes mais si bien adaptés à ce pays. Les bergers me racontaient de belles histoires sur les étoiles. Le ciel était pour eux un grand livre où tout était écrit. Mais la population s’en méfiait car, dans mes chères Carpates, la superstition réglait la vie de chaque jour. Les maléfices, les mauvais sorts, les filtres étaient leurs alliés.

 

Le temps passait et mon pauvre père ne comprenait pas toujours mes réactions, parfois sauvageonne, parfois grande dame ou bien encore petite fille mais, qui pouvait vraiment les comprendre ? Mais j'eus la chance d’avoir un bon père qui écouta bien plus mes désirs que la raison. Entre autre celui de ne pas prendre d’époux tant que je n’en voulais pas.

 

Depuis l'âge de 14 ans, j’accompagnais chaque année les pâtres et leurs moutons à la montagne. Nous vivions dans des abris précaires et mon père n’aimait guère que je m’y attarde trop longtemps. Dès que nous arrivions, nous faisions un feu : un peu d’amadou, un bâton fendu en quatre aux deux extrémités. Ce bâton fendu était passé entre deux planches de bois, deux bergers le frottaient jusqu’à ce que l’amadou prenne feu. Ce feu, c’est le feu vivant.

Nous le gardions jusqu’à l’automne, jusqu’à la dispersion des troupeaux ; nous ne le laissions pas s’éteindre. Nous prenions une branche de sapin ou une herbe sauvage ainsi que de l’eau de source. Nous éteignions les charbons ardents tirés de ce feu, dans cette eau. Les braises qui restaient du feu, nous les éparpillions là où passaient les brebis. Nous aspergions les brebis de cette eau pour que personne ne puisse prendre de leur lait ou bien pour les soigner car elle enlève le mauvais sort.

Les bergers m’expliquèrent que le feu a des fonctions multiples, rituelles et pratiques pour la cuisson et pour la chaleur, pour la protection contre les forces obscures et pour le traitement des maladies. Tout au long de mon éternité je garderai en moi ces croyances et cette vénération pour le feu vivant...

Le plus âgé des bergers du troupeau m’expliquait leurs coutumes. J’aimais lui raconter ce que je connaissais sur le pays des fées, Arcadia. La fée de la forêt à un jardin. Il y a des fleurs, de très belles fleurs, toute sorte de fleurs. Mais lorsque l’on prend des fleurs dans ce jardin, la fée de la forêt peut torturer pour avoir capturé ces fleurs.

 

Avec le fils cadet, nous aimions partir à la découverte des passages souterrains du château. C’est ainsi que nous découvrîmes un jour un souterrain qui nous mena dans un antre magique : La bibliothèque du monastère. Même notre imagination ne nous avait pas préparé à tous ces trésors de connaissances. Des étagères emplies de livres, de manuscrits, d’enluminures. Sur les lutrins, des manuscrits en cours. Les dorures, les couleurs éclataient. Tout était si beau! Comment résister à cet appel, nous étions subjugué. De cette nuit là, nous y retournâmes le plus souvent possible. Nous nous installions nous aussi sur ces lutrins et nous nous exercions à reproduire les arabesques s’entrelaçant. Parfois, un rat passant par là nous faisait sursauter. Nous avions si peur d’être découverts. Certaines nuits orageuses, nous n’osions nous y aventurer. La peur et les superstitions prenaient le dessus sur notre passion. Nous détestions le Mardi, le jour qui pour certains est anodin et qui pour nous, enfants des Carpates, a une si grande signification. C’est un jour maléfique, au coucher du soleil, plus personne ne sort dans les rues ou sur les chemins, car sortir, ce serait s’exposer à rencontrer quelques génies malfaisants.

 

Ainsi sont mes souvenirs d’une enfance heureuse partagée entre plusieurs mondes. Les Carpates étaient si éloignées de tout que seuls les troubadours pouvaient nous conter les nouvelles extérieures. Les légendes nous entraînaient dans leurs royaumes, nous faisant oublier la dureté du climat et de la vie de ces temps là.

Je me souviens encore de mes chères forêts. Comment oublier ces arbres s’élançant droit vers le ciel ; leurs longues racines rampant sur le sol tapissé d’une mousse jaunâtre et rase aux brindilles sèches et semées de pommes de pins... En y repensant, la forêt noire, humide et froide avait de quoi inspirer la frayeur et donc les superstitions.

 

Je ne vous conterais pas en détails la fin de ma vie en ces lieux. Ce qui arriva été si courant malheureusement... Lors d’une de mes escapades de plusieurs jours, où je suivais inlassablement ma petite fée, une tragédie sans nom m’enleva à tout jamais ma candeur. A mon retour, je ne vis du château que des pierres fumantes, des corps sans vie, des charognards se donnant à cœur joie...Tout autour de moi, ce n’était que désolation... horreur...

Comme une âme perdue je partis dans la forêt, mon seul refuge.

Au tournant d’un sentier, un saltimbanque m’interpella. Je l’avais vu maintes fois au château et le suivis sans crainte. Pour les tziganes, la forêt est un lieu plein de mystère où ils célèbrent leurs rites , entre autre le sacrifice de l’agneau. N’ayant plus personne, je restais avec cette petite troupe.

C’est ainsi que j'apprit bien des choses. Entre autre ramasser les champignons (bons ou mauvais suivant les potions), les herbes aromatiques (condimentaires ou médicinales), de la mandragore.

 

Chacun vivait à son rythme, à ses horaires, mais curieusement tous se rassemblaient le soir, près des feux, autour de deux hommes bien particuliers. Quelque chose en eux attirait mais effrayait tout à la fois. Le premier disait la bonne aventure, parfois des prédictions ; mimait des souverains ou d’autres personnages ; mais surtout, il contait des histoires merveilleuses sur un monde : " Arcadia " ! Le second était merveilleusement beau et avait une voix envoûtante. Il jouait de la mandoline, les yeux perdus dans le vague, une lumière intérieure l’enveloppait... Oh! Comment résister?

Ils me prirent sous leur ailes et je compris bien vite qu’ils étaient amants. Je n’étais guère choquée par ces mœurs étant donné que chez nous elles étaient assez dissolues, surtout à ces époques, dans ces contrées sauvages et surtout, je n’étais plus une toute jeune fille : je venais d’avoir 20 ans.

Je les suivis ainsi, à travers le pays, pendant plusieurs années. Souvent leurs conversations me semblaient étranges mais je ne connaissais rien au monde extérieur, ni au leur. Jusqu’au jour où ils décidèrent de me faire l’une d’entre eux.

 

Oh! Souvenirs merveilleux et étranges tous à la fois. Souffrances et délices en ce lieu si magique... Je ne vous le décrirez point de peur que vous vous y rendiez car il existe toujours de nos jours.

Délicatesse d’un Toréador, féerie d’un Malkavian. Les deux ensembles, leurs sangs mêlés, me firent oublier les souffrances de la mort pour ne garder en moi que l’extase de ma renaissance.

Oh! Jamais jusqu’à ce jour je n’ai pu retrouver cette extase, le goût de leurs sangs si particuliers que j’usa de nombreuses années.

Mon Sire, le seul et unique, fut celui du clan Malkavian. Je ne vous site pas son nom de crainte d’un ennemi lisant ses lignes. Son amant Toréador, m’enseigna à ma nouvelle vie et surtout de rester en contact avec le monde des humains. Ne jamais s’enfoncer vers la Bête...

 

Les années qui suivirent furent une suite de découvertes fabuleuses. Je visitais enfin mon pays, la Hongrie, si belle et si profonde. Les légendes étaient sans cesse présentes dans chaque endroit ou qu’on aille. Le temps me semblait défiler trop vite.

 

C’est ainsi que nous vîmes arriver la Révolution de 1848. Elle dura jusqu’en 1849. Le centre des monts Apuseni, dans la région de Cîmpeni, fut le cœur du pays des Moti, population montagnarde, mais aussi le centre de résistance roumaine à cette époque là. Ce fut à cet instant que je compris que je ne pourrais vivre hors de la société humaine. Je ne pouvais rester insensible aux regards des enfants, aux drames qui se déroulaient autour de nous, sans agir.

 

Par la suite, nous nous rendîmes en Autriche où les tensions étaient tendues à l’extrême. Le sacre de l’Empereur François-Joseph n’avait pas éteint la haine des Hongrois envers l’Autriche, les massacres restaient encore gravés dans les cœurs.

Le mariage du Kaiser avec la Kaiserin d’Autriche, Elisabeth de Bavière, venait de se dérouler, le 24 avril 1854.

C’est ainsi que je rencontrais d’autres clans qui jusque là m’étaient inconnus. La cour était Trémère ; à cette époque comme ils me semblaient loin et inaccessibles... Nous vécûmes des instants magnifiques, Vienne étant si belle!

 

Nous partîmes pour la France, attirés par Paris dont nous avions entendu vanter ses beautés.

Ce fut en cours de route où arriva...Je ne puis vous décrire notre séparation qui se fit en de sinistres circonstances. Cela est au dessus de mes forces. Le temps n’apaise pas toujours nos peines ni nos rancœurs...

Je parvins seule en France après de longues heures de solitude. Je connus le manque, la peur, la panique... tout ce qu’une Infante peut ressentir après la perte de son Sire et de son Amant.

 

Paris ! La cour était tenue par le Prince de France, François Villon, Prince Toréador. Sa cour était splendide même en ces temps reculés. Un Toréador, ami de mon cher disparu, me prit sous sa protection.

C’est à cette période, que la cour fut intéressée par un anarchiste hongrois, humain, le comte Andrassy, surnommé le Beau Pendu. Il s’était réfugié en France pour échapper à la pendaison en Autriche. Je fis sa connaissance et tombait éprise de ce jeune homme révolutionnaire. A la surprise et à la révolte de mon protecteur, je devins l’épouse du comte Andrassy.

Il fut amnistié en 1858 et voulut retourner dans son pays. C’est ainsi que je rompis la cinquième tradition en divulguant à mon époux ce que je suis...

 

Le comte Andrassy rencontra pour la première fois l’Impératrice en 1866. Cela se passa lors d’une cérémonie fastueuse à la Hofburg. Il s’établit entre Elisabeth et Andrassy un amour courtois dans la plus pure tradition troubadour.

Moi-même quelques années auparavant, je n’avais pu rester insensible au charme de l’Impératrice. Dans de nombreuses cours, on la nommait, la citait en exemple et en tant que Malkavian je ne pouvais ignorer ses folies.

En 1864, je réussis à introduire Ida Ferenczy au service d’Elisabeth. Nous étions de grandes amies et une protection s’imposait auprès de sa Majesté. Ida était de naissance modeste mais surtout Hongroise.

Pendant trente ans, Ida eut toute la tendresse que Sissi ne put dispenser à ceux qu’elle chérissait. Elle devint sa confidente, son amie de cœur, discrète et lui faisant découvrir de grands noms hongrois.

Jusqu’à la mort de l’Impératrice, le 10 septembre 1898, à Genève, Ida resta à ses côtés.

 

Sur la mort de mon époux, je ne m’éterniserai pas. La souffrance reste encore vive vue les circonstances dans lesquelles cela se déroula... Malgré le sage conseil de ne point me laisser envahir par la Bête, je ne peux cacher l’envie de me venger.

Après ce nouveau drame je ne pus que me retrancher dans une vieille demeure au fin fond de mes chères forêts, refusant de continuer cette Eternité...

 

Lors de la première guerre mondiale, je dus sortir de cet état léthargique. Ma fée avait fui ce monde d’horreurs, ces nouveaux massacres. Je repensais à la Révolution de 1848 et décidais d’aider de mon mieux les déracinés. N’en faisais-je pas partie d’une certaine manière ?

 

Le Royaume Austro-Hongrois n’existait plus ; tous ceux que j’avais connu avaient fui ou bien n’étaient plus. Je retournais en France, à Paris, vers les années folles. N’est-ce-pas amusant de les nommées ainsi ?

Paris avait bien changé mais je retrouvais avec joie la cour de Villon. Tout était si différent d’où je venais. La vie régnait, la joie mais surtout les fées étaient de nouveau parmi nous.

C’est à cette époque que je me rendis vers le Sud, dans la cité de Hyères. Je m'éprit rapidement de ses vieilles maisons, de cette douceur de l’air, et surtout de ses légendes. J’y trouvais avec joie une vieille demeure avec ses mystères et ses secrets...

 

Mais les hommes, comme nous mêmes, ne changent pas et la paix ne pouvait durer. La seconde guerre mondiale s’annonçait, les fées étaient de nouveau parties.

Tout au long de cette période, je déplorais que mon clan soit aussi proche de ce monstre qui régnait et dévorait tout autour de lui. Mais nous sommes si différents les uns des autres. Comment reconnaître le Bien du Mal ? Est-il encore ancré dans la plupart d’entre nous ? J’ai bien peur que pour la majorité d’entre vous, vous ayez oublier ce concept.

La résistance heureusement existait et pendant ces années où les pires horreurs furent faites, entre autre par notre société, je me battis contre ses tortures de l’esprit et du corps...

 

Le temps jouant, la guerre cessa et la vie reprit.

Je restais dans le sud en faisant quelques voyages par ci par là. Revenant souvent à Paris où l’âme des Toréadors reste en moi.

 

En 1995, plusieurs d’entre nous se retrouvèrent dans le sud. Une coterie fut formée sur les terres de Toulon. Les premiers temps furent assez anarchistes.

Le Prince de France ne pouvant prendre le risque de perdre cette cité assez proche de Nice me nomma Régente.

C’est ainsi que je créais l’Alliance Pourpre et me fis nommer Princesse. Que peut-on dire, n’est-ce pas, à une Malkavian pour ce titre!

Je ne m’étendrais pas sur ces quelques années car cela serait bien trop long. Sur mes terres, j’ai voulu régner telle que Sissi l’aurait souhaité. La tolérance envers les autres furent les bases de ma politique, le fondement même.

Je fis ainsi plus ample connaissance avec certains clans, entre autre les Trémères qui me furent de grands alliés et surtout des proches. Je garde en moi des souvenirs chers en mon cœur.

Je connus à nouveau les plaisirs de l’extase... Mais malheureusement aussi les souffrances, des mêmes devrais-je dire, qui me poursuivent sans cesse sans être à chaque fois les mêmes. Détruisant avec ce plaisir évident les êtres chers, les innocents...

 

Mais depuis quelques mois, une cauchemar horrible m’a envahi, me faisant perdre toute notion de temps, ...

Je suis à Paris pour empêcher certaines choses de se réaliser. Nous sommes plusieurs mais l’entente ne nous unie point pour la plupart. Le pouvoir aveugle trop certains, les conceptions aussi. Si la confiance, les sentiments, les passions ne prennent pas le dessus tout ceci s’effondrera sans aucune chance de retour.

 

Contesse Tatiana Andrassy

Primogène de Paris